La fabrique de céramique de renommée mondiale Zsolnay, encore en activité aujourd'hui, fut fondée par Miklós Zsolnay père à Pécs en 1853. Depuis les années 1860, son fils Vilmos s'est méthodiquement efforcé d'élargir les activités de la fabrique et d'ajuster sa gestion aux exigences du marché européen à cette époque. Ses efforts furent couronnés par une reconnaissance internationale et une médaille de bronze à l'Exposition Universelle de Vienne de 1873. Les inclinations de Vilmos Zsolnay étaient en accord avec celles de l'époque, bien qu'après l'Exposition de Vienne, il se soit intéressé de plus en plus à l'art oriental, et, en particulier, à l'art islamique. Le style caractéristique des produits de la fabrique Zsolnay, avec des influences perses et turco-ottomanes, évolua pendant la deuxième moitié des années 1870, en parallèle avec des développements et des innovations techniques. Parmi celles-ci, il faut surtout mentionner l'émail grand feu, utilisé pour la vaisselle en grès, baptisée "faïence-porcelaine". La fabrique décrocha une médaille d'or à l'Exposition Universelle de Paris en 1878 pour cette découverte, et Vilmos Zsolnay reçut la Légion d'honneur du gouvernement français.
A partir de 1876, les motifs turco-ottomans et perses apparurent surtout dans les créations de Júlia Zsolnay, la fille de Vilmos. Elle fit avec sa soeur Teréz un long séjour à Vienne en 1877, pendant lequel les deux jeunes filles étudièrent les collections orientales du Musée autrichien des arts et métiers (Österreichisches Kunstgewerbe Museum) avec l'aide d'un historien d'art renommé, Jakob Falke. On retrouve trace de leurs achats parmi les revues et les livres consacrés aux décors en vogue à cette époque dans la bibliothèque de la famille Zsolnay. Cet intérêt pour la céramique orientale était due, entre autres, au fait que Vilmos Zsolnay envoya son fils Miklós en voyage d'étude au Moyen-Orient en 1887 et 1888. Miklós travaillait depuis 1874 à la fabrique dirigée par son père.
I. Gerelyes et O. Kovács. Carreau de céramique mural, Iznik, env. 1660 (coll. Zsolnay)
Nous avons pu reconstituer l'itinéraire de Miklós Zsolnay d'après son journal de voyage (conservé d'abord dans les archives familiales, puis au Musée Janus Pannonius de Pécs), et d'après les quelque 50 lettres qu'il a envoyées à sa famille pendant son périple. La première lettre fut envoyée de la ville de Mohács, encore sur territoire hongrois, le 18 octobre 1887. Il traversa ensuite la Serbie et la Bulgarie. Sa première missive de Constantinople date du 24 octobre 1887. Il passa une grande partie de son séjour à Constantinople à visiter les mosquées de la capitale turque. Dans ses lettres, il décrivit avec enthousiasme les carreaux de la mosquée Sultan Ahmed et de la mosquée Rustem pasha. Il exécuta un grand nombre de dessins sur place avant de les envoyer, à Pécs, à ses soeurs Júlia et Teréz, qui reprirent un grand nombre de ces motifs dans leur travail de création. Certains dessins sont aujourd'hui conservés au Musée Janus Pannonius. Selon cette correspondance, il semble que la famille Zsolnay envisageait sérieusement d'établir une fabrique en Turquie. D'actives négociations eurent lieu, mais elles ne dépassèrent jamais le stade du projet.
Après un mois à Constantinople - interrompu par un brève excursion à Brousse - Miklós Zsolnay se remit en route le 24 novembre 1887. Il fit d'abord halte à Smyrne (le 25 novembre), puis il se rendit à Larnaca (30 novembre), Beyrouth (1er décembre), Baalbek (2 -3 décembre), Damas (4-5 décembre), Jérusalem (9-11 décembre), Jaffa (15 décembre) et Port Saïd (17 décembre) et atteignit Le Caire le 19 décembre. Il y passa les fêtes de Noël avant d'entamer une croisière de deux semaines sur le Nil. De retour au Caire le 10 janvier, il y passa encore huit jours, puis reprit le chemin de retour une semaine plus tard. Le 28 janvier 1888, il écrivit d'Athènes à ses parents avant d'arriver à Pécs en février.
I. Gerelyes et O. Kovács. Carreau de céramique mural, Kashan, XIIIe siécle (coll. Zsolnay)
Au cours de son voyage au Moyen-Orient, Miklós Zsolnay acheta un grand nombre de carreaux muraux : 223 en tout. Selon son journal, il en acheta 105 à Damas. La plupart des carreaux actuellement conservés dans la collection proviennent de Damas et datent de la fin des XVIe-XVIIe siècles. C'est probablement à Damas que Miklós Zsolnay acheta 16 carreaux hexagonaux du XVe siècle, constituant une entité distincte dans la collection. Ces pièces appartiennent au même type stylistique que celles ornant le mausolée Ghars ad-Din Khalil al-Tawrizi de Damas. Le style de certains de ces carreaux rappelle la période de la reconstruction de la Mosquée de Omeyyades au XVIIIe siècle.
Une des grandes surprises de cette recherche a été de constater que, pendant son long séjour en Turquie, Miklós Zsolnay n'acheta pratiquement pas de pièces produites à Iznik pendant la période classique (deuxième moitié du XVIIe siècle); la collection ne compte, en effet, que quatre carreaux intacts et quelques autres brisés de cette époque. Les fragments proviennent peut-être de la mosquée Sultan Ahmed, la correspondance de Zsolnay révélant qu'il acquit des carreaux brisés auprès de l'imam de la mosquée. Nous avons pu identifier deux carreaux d'Iznik du XVIIe siècle; l'un provient certainement de la mosquée Yeni Valide. Heureusement, toute la céramique et les dessins de carreaux que Zsolnay renvoya à Pécs se trouvent aujourd'hui dans la collection.
Dans une lettre de Jaffa, datant du 15 décembre 1887, Zsolnay écrit également que, pendant son séjour à Jérusalem, il réussit à acheter quelques carreaux anciens (de l'époque de Soliman le Magnifique) aux gardes du Dôme du Rocher. Nous avons identifié quatre carreaux de Jérusalem dans la collection, et nous supposons que d'autres ont été produits par des potiers établis à Damas après l'achèvement du revêtement du Dôme du Rocher.
I. Gerelyes et O. Kovács. Carreauxde céramique mural timuride, Bursa, Xve siècle (coll. Zsolnay)
Dans la collection, il y a quelques pièces isolées pour lesquelles nous n'avons pas d'indications quant à l'endroit d'acquisition. Deux d'entre elles, des carreaux vernissés muraux provenant de Kashan (XVIIIe siècle), sont en forme d'étoile; l'un comporte une inscription. Il est possible que le seul carreau de mosaïque de forme hexagonale de l'ère timuride ait été acheté par Zsolnay à Brousse.
L'origine de plus de 40 carreaux muraux espagnols des XIVe, XVe et XVIe siècles est également mystérieuse. Ni le journal, ni la correspondance ne donnent d'informations sur leur lieu d'achat.
Pendant son voyage, Zsolnay acquit également un nombre important de céramiques de Fustat (Vieux Caire) : plus de 300 fragments. Malheureusement, son journal ni sa correspondance ne donnent aucun renseignement quant à leur achat.
I. Gerelyes et O. Kovács. Fragment de carreau de céramique mural, Iznik, XVIe siècle (coll. Zsolnay)
Les influences de ce voyage et de cette collection ont surtout été visibles dans le développement consécutif des céramiques à but architectural produites à la fabrique. Dans la collection, on peut trouver non seulement des copies de carreaux originaux, mais aussi les traces d'essais réalisés sur des fragments de carreaux originaux.
En 1900, après le décès de son père, Miklós Zsolnay reprit la direction de la fabrique. Conformément aux goûts de l'époque et en prolongement de ses propres efforts, il se consacra davantage à la production d'éléments céramiques architecturaux au détriment des oeuvres d'art décoratif.