Rapport 2016
Khirbat al-Dūsaq s’élève à 5km à l’est de la forteresse de Shawbak (fig. 1) dans le sud de la Jordanie, à 1270 m d’altitude, il surplombe le cours du Wadi Nijil. Dans la seconde moitié du XIXe siècle déjà, le complexe de Dūsaq fut décrit et photographié par les voyageurs (Hill 1897, Vaihlé 1898) et, en 1898, Rudolf Brunnow et Alfred von Domaszewski en établirent un plan général. Les vestiges furent encore mentionnés ou photographiés par quelques savants au début du XXe siècle (Musil 1907, Meistermann 1909, Savignac 1935), mais leur nature et leur fonction demeuraient floues. En 1968, le Dr. Bisheh en offrait une courte description dans un rapport de prospection conduite dans la région de Shawbak par le Département des Antiquités de Jordanie. Ce dernier proposait d’y reconnaître un palais, mais aucune fouille archéologique n’y fut alors engagée. Il y a quelques années encore, la base de données archéologique JADIS indiquait pour ce site de période indéterminée (n°2099024), ne posséder aucune information et bibliographie, mentionnant seulement des structures de murs. Plusieurs publications récentes évoquaient l’existence du complexe mais elles ne permettaient ni d’en identifier la fonction avec certitude, ni d’en connaître la datation[1].
Fig. 1: Localisation de Khirbat al-Dūsaq (©Mission Dusaq/ Fournet)
En 2008 une équipe de l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) a pu réaliser le plan du site, où l’on supposait alors l’existence d’un bain grâce à la présence d’une brèche ouverte dans un parement laissant entrevoir les pillettes d’un possible hypocauste (March & Pascual 2015). Le site se compose de trois bâtiments visibles disposés en L (fig. 2 et 5) entourés d’un mur d’enceinte arasé dont on devine encore le tracé. Au sud, un édifice (A) ouvert par un arc dont la voûte s’est effondrée, est identifiable à un iwān, jouxté par un bassin quadrangulaire aujourd’hui comblé. Au nord de cette structure se dresse un important édifice quadrangulaire (B) -anciennement doté d’un étage voûté- auquel était accolée au nord une tour faisant la liaison avec troisième bâtiment de plan allongé (C) qui abritait un riche bain, fouillé en 2009 et 2015.
Fig. 2: Vue générale du site vers l’est (©Mission Dusaq/ Elter)
Fig. 5 : Localisation des sondages de la mission 2016 (©Mission Dusaq/Elter & Vigouroux)
L’opération de 2009 (AnR Balnéorient) menée sous la direction de Jean-Paul Pascual (Ifpo) s’était concentrée sur la salle chaude avant que des pillards ne la détruisent à l’aide d’un bulldozer. L’urgence nous a conduits à effectuer une mission de diagnostic en 2014 afin d’identifier les dégâts et d’établir les priorités du nouveau projet. Ainsi, Élodie Vigouroux (Ifpo) et René Elter (Université de Lorraine) ont pu reprendre le dossier en 2015 et effectuer une première campagne de fouilles (Ifpo-Cnrs) centrée sur le bain, partie la plus menacée du site.
En 2015, un escalier maçonné fut mis au jour, il menait au bain, situé en contrebas de la cour du site. Il conduisait à la salle de déshabillage de plan quadrangulaire, équipée d’une banquette maçonnée en U, disposée autour d’un bassin carré alimenté en eau par une canalisation provenant vraisemblablement des citernes fouillées en 2009, situées dans la partie occidentale du bain (fig. 3 et 11). Dans les niveaux d’effondrement de cette salle, autrefois couverte d’une coupole, une conque sculptée en calcaire a été découverte (fig. 4), venant compléter les éléments mis au jour en 2009 qui nous avaient permis d’attribuer ce site à la période médiévale (Vigouroux et alli 2015). Par ailleurs, ce qui restait en place de la salle chaude, à savoir quelques pillettes épargnées par le bulldozer, ont permis de connaître le niveau inférieur de l’hypocauste et d’identifier les traces de l’ancienne suspensura aujourd’hui disparue.
Fig. 3 : Bâtiment C, coupe et plan du bain en 2015 (©Mission Dusaq/Elter)
Fig. 4 : Conque (trompe) mise au jour en 2015 dans la salle de déshabillage (pièce 5) (©Mission Dusaq/Elter)
Le dégagement des structures du bain nous a ainsi révélé un plan qui, comme nous l’avions supposé est assez proche des modèles urbains médiévaux et notamment des modèles damascènes du XIIIe siècle (Ecochard & le Cœur 1942 et 1943). Le baigneur quittait ses vêtements dans le mašlaḥ, revêtait une pièce de tissu, la futa, puis il se rendait dans une salle plus réduite, le wasṭānī (pièce 4) dont l’accès se faisait en chicane pour conserver la chaleur. Il trouvait là une arrivée d’eau chaude et froide et une vasque, il pouvait s’y laver, y être massé ou épilé. Ensuite, il se dirigeait vers la pièce chaude le ǧuwwānī, construite sur un hypocauste, où régnait une chaleur importante du fait du chauffage par le sol mais aussi de la vapeur d’eau créée par le débordement de la vasque située immédiatement en contrebas de la cuve d’eau chauffée par la fournaise. Après y avoir transpiré et ses ablutions achevées, le baigneur suivait un parcours rétrograde, revenant dans le mašlaḥ afin de s’y sécher, s’y détendre et s’y restaurer. Ainsi grâce aux résultats de la campagne 2015, le plan du bain nous était connu, qui, associé aux éléments de décor et au matériel céramique étudié par Julie Monchamp (Ifao) nous avait permis d’affiner la datation du bain et de l’attribuer au XIIIe (Vigouroux & Elter à paraître).
Campagne 2016
En 2016, le projet a obtenu le soutien de la Fondation Max van Berchem[2] que nous remercions vivement. Nous avons ainsi pu poursuivre la fouille des pièces de service du bain et entamer le dégagement du bâtiment B[3].
Immédiatement à l’est du four du bain, dans la pièce 7, un espace quadrangulaire situé en contrebas de la cour fut mis au jour, au niveau de l’hypocauste, limité à l’est par la bouche du four servant à son alimentation. Cette pièce de service, désignée dans les bains de Damas par le terme aqmīm est située à l’arrière du four, elle était ici aménagée en partie dans une cavité naturelle du rocher et accueillait la personne qui alimentait le foyer ainsi que le combustible, apporté par le nord. Par ailleurs, nous avons poursuivi l’investigation à l’ouest de la fournaise du bain et mis au jour la pièce 8, accolée au mur nord du bâtiment B. Cette pièce abritait une latrine (fig. 6), dotée d’un sol dallé, incliné pour faciliter l’évacuation des déchets vers la fournaise. Dans un second temps, nous avons ouvert un sondage dans le bâtiment B et dégagé la cage d’escalier logée dans le mur sud, puis l’espace intérieur de la porte orientale. À cet endroit, le linteau de la porte principale du hammam du bâtiment C, réutilisé dans une banquette sommaire (fig. 7) a été découvert. Il portait une inscription de fondation, actuellement en cours d’étude par F. Imbert (Ifpo) : le nom du commanditaire et la date qui y sont mentionnés vont nous permettre d’affiner nos recherches dans les sources historiques arabes afin d’éclairer le contexte de construction du complexe.
Fig 6: Bâtiment C, pièce 8, latrine et pavement vus de l’ouest (©Mission Dusaq/Elter)
Fig. 7 : Bâtiment B, porte orientale, linteau de l’entrée du bain remployé (©Mission Dusaq/Imbert)
Parallèlement à la fouille, Emmanuel Alby (Insa Strasbourg) a réalisé une couverture photogrammétrique du site (fig. 8), prenant plusieurs milliers de clichés, à la perche et au sol qui, combinés, fournissent après traitement informatique (fig. 9), une image complète de l’état des édifices. Il a accompagné sa démarche d’un relevé topographique permettant de situer les prises de vue dans l’espace. Ce travail est un apport considérable dans notre étude car, à partir des vues photogrammétriques redressées, un modèle virtuel fidèle a été construit (fig. 10). De plus, ces éléments ont été utilisés par Maxime Santiago (Ensa Nancy), afin de proposer une restitution 3D du site (fig. 11).
Fig. 8 : Réalisation de la couverture photogrammétrique par E. Alby et U. Elter (©Mission Dusaq/Vigouroux)
Fig. 9 : Projet photogrammétrique sur le bâtiment A, orientation des images (©Mission Dusaq/Alby Insa)
Fig. 10: Projet photogrammétrique sur le bâtiment A, nuage de points de haute densité (©Mission Dusaq/Alby Insa)
Fig. 11 : Restitution hypothétique, coupe E-O du bain, projet en cours (Mission Dusaq 2017/© Avril 2017, Maxime Santiago)
En parallèle de la fouille des bâtiments B et A, nous souhaitons à l’avenir appréhender les modalités d’alimentation en eau du site. En effet, en 2013, la prise de vues aériennes (fig. 12) avait permis de repérer à Khirbat al-Dūsaq un vaste enclos (environ 200 m x 100 m), associé au complexe et ainsi de proposer d’y reconnaître alors un ensemble architectural de plaisance, lié à un jardin ou un verger. La présence d’un enclos agricole et d’un bain luxueux dans cette zone semi-aride soulève nombre de questions relatives à l’approvisionnement en eau. Par conséquent, nous prévoyons la réalisation d’une carte géophysique à l’échelle du site permettant de localiser les infrastructures souterraines, d’une part, et d’autre part, nous envisageons une étude géomorphologique visant à reconstituer le paysage environnant et identifier les techniques d’exploitation des ressources en eau disponibles dans la région au Moyen Âge.
Dr. Elodie Vigouroux et M. René Elter
Institut Français du Proche-Orient, Beyrouth
Fig. 12: Vue aérienne de l’enclos jouxtant le complexe, vers le sud-ouest (©Des ailes pour la science 2013)
Bibliographie
Ecochard & le Cœur 1942 et 1943 : Michel Ecochard et Claude Le Cœur, Les bains de Damas, 2 vol., Institut français de Damas.
Gray 1897: Gray Hill, « A Journey to Petra », Quarterly Statement of the Palestine Exploration Fund, 1897, p. 34-44, 135-144.
March & Pascual 2015: March Chrystelle, Pascual Jean-Paul, « Le complexe de Khirbat al-Dūsaq (Shawbak) : mission préliminaire (2008) », Syria 92, p. 169-188.
Mc Quitty 2001, Mc Quitty Alison, “The Ottoman period”, in Mac Donald Adams éd., Archeology of Jordan, Sheffield University Press, 2001, p. 561-593.
Meistermann 1909 : Meistermann, François J., Guide du Nil au Jourdain par le Sinaï et Petra, A. Picard et fils éditeurs, Paris, 1909.
Milwright 2008: Milwright Marcus, The Fortress of the Raven, Karak in the Middle Islamic Period (1100-1650), Brill, Leiden, 2008.
Musil 1907: Musil Alois, Arabia Petraea, II, Edom, Topographischer Reisebericht, vol. I, Kaiserliche Akademie der Wissenschaften, Vienne, 1907.
Petersen 2012 : Petersen Andrew, The Medieval and Ottoman Hajj Route in Jordan, an Archaeological an Historical Study, Levant Supplementary 13, Oxbow books, Oxford, 2012.
Vannini 2009: Vannini Guido (dir.), Da Petra a Shawbak: Archeologia di una Frontiera, Guinto, Florence, 2009.
Vigouroux et alii: Vigouroux, Élodie, Elter René, Pascual Jean-Paul, « Le complexe de Khirbat al-Dūsaq (Shawbak) : résultats de la première campagne de fouilles », Syria 92, p. 189-211.
Vigouroux & Elter : Vigouroux, Élodie, Elter René “The Medieval Hammam of Khirbat al-Dusaq:
an Archaeological and Historical Investigation”, Studies in History and Archeology of Jordan, à paraître
[1] D’après ces ouvrages, il pouvait s’agir d’un caravansérail (McQuitty 2001, Vannini 2009) ou d’un relai datant peut-être de la période ottomane (McQuitty 2001, Milwright 2008). Dans son ouvrage consacré à la route du hajj, Andrew Petersen indiquait encore en 2012 que Dūsaq demeurait un site énigmatique
[2] Cette mission était aussi soutenue par l’Institut français du Proche-Orient et le Cnrs français. Le travail de terrain sur le site de Khirbat al-Dūsaq s’est déroulé du 4 au 21 avril 2016. Ont pris part à cette mission Élodie Vigouroux (archéologue et historienne-Ifpo), René Elter (archéologue et architecte-Université de Lorraine), Julie Monchamp (céramologue-Ifao), Emmanuel Alby (spécialiste en photogrammétrie et topographie, Insa Strasbourg), Frédéric Imbert (épigraphiste-Ifpo), Deeb Marahmeh (étudiant en archéologie et arts, Université de Jordanie) et Ugo Elter (étudiant en architecture, Nancy), Une équipe constituée de huit ouvriers avait été recrutée dans les villages de Shawbak et Husayniyya.
[3] Nous tenons à remercier le Département des Antiquités de Jordanie et en particulier son représentant sur le site, Muhammad Abdalziz al-Marahleh, pour son aide précieuse.