ARCHEOLOGIE / ARCHAEOLOGY
AILLET Cyrille

NOUVELLES RECHERCHES SUR SEDRATA
ET LE BASSIN DE OUARGLA À L’ÉPOQUE MÉDIÉVALE

Sedrata se situe à environ quatorze kilomètres au sud de Ouargla, dans le Sahara algérien septentrional. Le site, en grande partie ensablé même si certains vestiges affleurent encore, s’étire sur plus de deux kilomètres de long sur six cents mètres de large. Ce périmètre fait partie d’une aire de peuplement plus vaste occupant le lit de l’oued Mya sur une étendue d’environ soixante kilomètres, fermée au nord par le qsar de N’Goussa et la Sebkhet Safioune, et au sud par le relief tabulaire de la Gara Krima (à six kilomètres au sud de Sedrata). Sur cet espace s’étendait le « pays de Ouargla » dont les sources médiévales évoquent la prospérité, et dont les légendes rapportées par les explorateurs du XIXe siècle affirment qu’elle comptait une centaine de « villages ». La présence d’importantes ressources aquifères explique que cette oasis ait été jadis la plus grande palmeraie d’Algérie, et que la culture du blé y ait été pratiquée au XIIe siècle. Nœud fondamental du commerce transsaharien, la région aurait vu transiter l’or du « Soudan » jusqu’au XIIIe siècle avant de s’affirmer jusqu’à l’époque moderne comme une étape importante pour la traite des esclaves.

Si l’on ignore à peu près tout de l’histoire et du peuplement de ce pôle saharien avant cette date, on sait en revanche qu’il accueillit le dernier souverain rustumide après la prise de Tâhert par les Fatimides en 909. L’imâm Ya'qûb b. Aflah, dont la tombe supposée fait l’objet d’un pèlerinage annuel actif, aurait décidé d’abandonner son titre au profit d’un gouvernement collégial, modèle systématisé au sein de l’archipel ibâdite au XIe siècle sous la forme de la halqa des oulémas et de la gamâ'a des notables. Du Xe au XIIIe siècle, Warglân connut son premier essor en devenant l’un des principaux foyers d’implantation et de culture ibâdites au Maghreb. Ce rayonnement, dont Sedrata est sans doute le témoin le plus éloquent, attira les convoitises extérieures : assiégée par les Fatimides en 909, l’oasis fut rattachée au domaine hammâdide entre les années 1080 et le milieu du XIIe siècle, tout en gardant une large autonomie. Au XIIIe siècle, cette pression extérieure se renforça : les sources évoquent les destructions infligées par les Banû Gâniyya en 1228, et la tradition leur impute l’abandon de Sedrata. De fait, peu de temps après, lorsque le souverain hafside de Tunis entre à « Warglân », la ville où il fait construire une grande mosquée correspond sans doute au site actuel de Ouargla. Tandis que la communauté ibâdite locale semble péricliter et se replier dans le Mzâb,, Ouargla perd aux siècles suivants son rôle prééminent de « porte du désert » au profit de nouveaux centres comme Touggourt.

L’histoire de ce pôle saharien doit reposer sur une lecture des sources arabes, négligées jusqu’ici, mais elle doit aussi s’écrire à l’aide de l’archéologie qui a fait de Sedrata son objet de prédilection entre la fin du XIXe et le milieu du XXe siècle. L’œuvre de Marguerite van Berchem se détache de ces travaux discontinus par son effort de compréhension globale du site, qu’elle tenta de sortir de son isolement et de replacer dans le contexte des espaces agraires environnants grâce à des méthodes innovantes pour son époque : photo-interprétation, prospections hydrologiques, observations malacologiques. En revanche, on ne peut que déplorer l’absence totale d’analyses stratigraphiques et muraires, qui auraient sûrement apporté les éléments de réponse qui nous font défaut aujourd’hui. Malgré les sondages et le relevé topographique effectués par A. Hamlaoui, archéologue algérien récemment disparu, notre connaissance de Sedrata dépend encore entièrement de ses travaux publiés, dont le dernier date de 1965. La présence à Genève d’un important fonds d’archives concernant les fouilles de Marguerite van Berchem à Sedrata constitue donc un atout précieux pour des recherches futures. C’est pourquoi nous avons entrepris l’étude critique et la publication du manuscrit sur lequel la chercheuse a travaillé toute la fin de sa vie : Sedrata, un chapitre nouveau de l’histoire de l’art musulman. Missions d’étude et campagnes de fouilles au Sahara, 1950-1956. Même incomplet, il contient une matière nouvelle et s’appuie sur une volumineuse documentation inédite : correspondance, carnets de fouilles, documents d’archives, inventaires, croquis et dessins, et surtout une riche collection de plus de six-cents clichés, souvent légendés. À cela s’ajoutent des plans de bâtiments et surtout le plan d’ensemble du site, réalisé à partir d’un photo-montage de plusieurs centaines de clichés aériens dont certains laissent déceler des structures hydrauliques et des parcellaires aujourd’hui difficilement visibles.

L’exploitation de ces données, complétée par des visites sur le terrain, a porté en premier lieu sur la compréhension de l’organisation interne du site. Sedrata comporte au moins trois zones de peuplement, unies par un dense réseau de communication, auxquelles s’ajoutent des « bordjs » périphériques sur lesquels il existe peu d’informations. Le noyau principal, au sud, est enserré par une enceinte polygonale flanquée de tours saillantes dont le tracé n’a été que partiellement reconnu. Une trame compacte de constructions – parmi lesquelles trois maisons ont été fouillées (photos 1 et 2) – occupe cet espace, pourvu d’une grande mosquée que l’on connaît très imparfaitement. Au nord, sur une hauteur, s’élève un autre ensemble, également entouré d’une enceinte et dont le centre renferme un bâtiment profusément décoré de stucs sculptés (photo 3). Surnommé le « palais aux trente quatre pièces » par ses fouilleurs, son plan global nous échappe faute de relevés et de descriptions précises. Le troisième groupe, à moins d’un kilomètre au nord-est du premier, comporte une grande enceinte de forme rectangulaire, dont l’entrée est flanquée d’une grosse tour d’au moins deux étages. Les pièces fouillées autour de la cour centrale possédaient un abondant décor de stucs. À proximité, plusieurs bassins ont été tantôt identifiés aux éléments d’un hammâm, tantôt à un répartiteur d’où partiraient des canaux d’irrigation. Au pied de ces deux agglomérations s’étendaient des palmeraies de culture mixte, dont le parcellaire se repère sur les photos aériennes anciennes. Enfin, au sud du premier ensemble se trouve le cimetière, aujourd’hui encore bien visible (photo 4), où les tombes – dont quelques-unes ont été fouillées par M. Faucher – semblent regroupées par enclos.

 

Les silos a dattes 1

Photo 1 : Les silos à dattes de l une des maisons du qsar principal lors des fouilles de Marguerite van Berchem
(Fondation Max van Berchem, Genève).

 

Les silos a dattes 2

Photo 2 : Les silos à dattes de l'une des maisons du qsar principal dans leur état actuel
(cliché Y. Montmessin, mai 2011).

 

Qsar du nord

Photo 3 : Qsar du nord, bâtiment central orné de stucs, dont certains fragments sont encore visibles de nos jours
(cliché Y. Montmessin, mai 2011).

 

Tombes

Photo 4 : Tombes en timchent du cimetière de Sedrata. On aperçoit la « tombe » de l'imam Ya qub au second plan
(cliché Y. Montmessin, mai 2011).

 

Le complexe troglodytique

Photo 5 : Le complexe troglodytique de Kehef el-Sultan
(cliché Y. Montmessin, mai 2011).

 

De l’interprétation de ces données souvent partielles découlent plusieurs interrogations. L’organisation urbaine de Sedrata – centre polynucléaire ou ville éclatée – reste à préciser. Les photographies de la Fondation nous serviront de support pour tenter de mieux définir le vocabulaire stylistique du site, aussi bien du point de vue de l’architecture que des décors en stuc, et de le resituer au sein des grands courants de l’art islamique. Par ailleurs, une réflexion sur les structures hydrauliques et agraires s’avère indispensable si l’on veut comprendre le fonctionnement de ces qusûr en milieu aride, voire les causes de leur abandon – brutal ou progressif, cela reste à voir.

Afin de désenclaver Sedrata, nous avons aussi entamé un travail de localisation des autres habitats dépeuplés signalés par les explorateurs du XIXe siècle. Les auteurs médiévaux précisent que «Warglân » était formé de plusieurs «qusûr», et les traditions orales récoltées à l’époque coloniale affirment que Sedrata coexistait avec d’autres « villages ». Bien que l’urbanisation galopante recouvre progressivement le fond de l’oued, nous avons repéré trois sites relativement préservés. La Gara Krima, dont la fonction de refuge et de défense est attestée dès le Xe siècle, conserve à son sommet un puits qui traverse la roche sur quatre-vingt dix mètres, ainsi que des structures denses mais très érodées. La forteresse de Ba Mendil occupe quant à elle le sommet d’une butte témoin au nord-ouest de Ouargla. Elle servait de caserne vers 1878, mais sa structure tripartite pourrait témoigner de plusieurs phases d’occupation, dont certaines peut-être anciennes. Enfin, le complexe troglodytique de « Kehef al-Sultan » (photo 5), exploré par V. Largeau, nécessiterait une étude précise pour déterminer sa chronologie relative, ses fonctions (habitat, refuge, grenier de falaise, lieu de retraite religieuse) et ses liens avec les sites avoisinants, dont Sedrata. La reconnaissance des établissements anciens de la cuvette de Ouargla n’est donc pas une tâche aisée. Seules des études détaillées, incluant relevés planimétriques et sondages stratigraphiques, pourraient apporter des éléments de réponse sur leur fonctionnalité et sur la culture matérielle qui leur est associée.

Cyrille Aillet (Université Lyon 2, CIHAM-UMR 5648)
Patrice Cressier (CNRS, CIHAMUMR 5648)
Sophie Gilotte (CNRS, CIHAM-UMR 5648)