ARCHEOLOGIE / ARCHAEOLOGY
BAIPAKOV Karl

« Nous atteignîmes la grande ville de Kajlak dont le marché est fréquenté par de nombreux marchands ». C'est le début du récit de Wilhelm van Rubrouck, un moine franciscain envoyé en ambassade par le roi Louis IX, qui décrit ainsi la plus grande ville de la vallée de l'Ili au Moyen-Age.
A la tête de l'ambassade du roi français, ce missionnaire instruit et énergique avait été envoyé en Mongolie pour tenter de s'attacher l'aide des Mongols dans une croisade contre l'Islam. Van Rubrouck débuta son périple en mai 1253 et rentra en Europe en 1256. Il raconta son voyage en détail, et son journal de voyage, qui rencontra un intérêt croissant, fut reproduit à plusieurs reprises. Van Rubrouck passa 12 jours à Kajlak. Dans son récit, il décrit la ville et les temples visités.

La cité médiévale de Kajlak est située dans le nord-est de la Semiretchie, à environ 470 km au nord-est de Taldy-Kurgan, à l'est du village moderne d'Antonovka (Kojlyk). C'est le plus grand site médiéval de la vallée de l'Ili. La ville est connue dans des sources historiques des XIe-début du XIIIe siècle comme la capitale du Karluk Jabgu, une possession indépendante des Turcs Karluks dans le Khaqanat Karakhanide.

Le site fortifié est entouré d'une muraille de 3,5-4,5 m de hauteur. La cité médiévale de Kajlak a la forme d'un quadrilatère irrégulier dont les coins sont orientés en direction des quatre points cardinaux. Le mur nord-est mesure environ 1200 m, celui du sud-ouest 750 m. La partie sud-est de la ville est adossée à la montagne. Des tours rondes fortifiées sont construites tous les 35-40 m le long de la muraille. Certaines d'entre elles mesurent encore 6 à 8 mètres de hauteur. A proximité de l'angle occidental du site, un tell - la partie centrale du site ou une citadelle - forme un rectangle de 100 mètres sur 115 sur une hauteur de 3 mètres. Les portes de la ville se trouvaient au nord-ouest, au nord-est et au sud-est.

A l'intérieur des murs, le vaste espace de la ville est couvert de monticules et de dépressions, correspondant aux restes de constructions disparues. Dans la partie orientale, en particulier, se trouvent de nombreuses ruines, des monticules de forme carrée, rectangulaire ou triangulaire. Aujourd'hui encore, on peut voir les traces d'une urbanisation avec des rues et des ruelles.

Le dégagement d'un des monticules a permis de recueillir des informations sur la stratigraphie du site. La couche supérieure, de l'humus, laisse la place à une couche de 30 cm d'épaisseur de couleur grisâtre. Des fragments de poterie vernissée turquoise, des vases à socle élevé de couleur bleu-vert avec des reflets métalliques et de la céramique sans dessin ni vernis ont permis de dater ce niveau des XIIIe-XIVe siècles.
Dans la couche inférieure, à une profondeur de 3 mètres, deux pendants de ceinture à perforation en forme de coeur, de la vaisselle recouverte d'un engobe rouge avec des impressions en forme de soleils et une lampe à bec cannelé ont été retrouvés; ces découvertes ont permis de dater avec précision la couche inférieure de Kajlak des IXe-Xe siècles.

Les recherches archéologiques ont mis au jour plusieurs structures qui ont été étudiées :

  • un prétendu "temple bouddhiste", vraisemblablement visité par W. van Rubrouck (fouilles de 1998-2002)
  • la "Ferme des hommes riches", un manoir opulent du XIIIe siècle (fouilles de 1999-2000)
  • un complexe d'habitations sur la citadelle (fouilles de 1999)
  • une maison de bain de type oriental - un hammam (fouilles de 2001-2002).

Le hammam, qui a fait l'objet de deux ans d'études, est décrit ici plus en détail. Ses coordonnées, relevées par GPS (Global Positioning System), sont les suivantes :
N 45° 39.642¢
? 080° 15.619¢
~ 647 m au-dessus du niveau de la mer

Le niveau supérieur des murs en brique de cette construction, enfoui à une profondeur de 50 cm, a été dégagé. Le plan de base du bain forme un rectangle de 11,36 sur 8,9 m, avec sept pièces disposées autour d'un hall central en forme de croix et un tambour d'entrée sur le côté est de l'édifice. Le plan en croix est typique de ces constructions. Les coins de la structure sont orientés en direction des quatre points cardinaux. (Ill. 1, 2). Il est vraisemblable que, dans la partie nord du hammam, un iwan ouvrait sur une cour.

 

Kajlak Hammam

Ill. 1. Kajlak. Hammam vu de l'est

 

Kajlak plan du hammam

Ill. 2. Kajlak. Plan du hammam

 

Sur les sept pièces, cinq possédaient des bains de différentes tailles dans leur partie septentrionale. Deux d'entre elles ont été interprétées comme des salles chaudes, deux autres comme des tepidaria, la dernière étant dévolue aux soins corporels. Une autre pièce servait de salle technique avec un réservoir rond pour chauffer l'eau (diamètre 127 cm environ, épaisseur des murs 12 à 14 cm) et deux pièces étaient vraisemblablement utilisées pour les massages.

L'entrée principale se trouvait sur le côté est. Il s'agissait d'un tambour de 224 cm sur 80 cm construit le long du mur sud-est de la pièce No 1. Le corridor débutait par une marche de 15 cm de hauteur combinée à un alignement de briques (26-26,5 ? 26-26,5 ? 4,5 cm) en trois couches. Du corridor, un passage de 90 cm de large menait à la salle No 1 (280 ? 210 cm) qui possédait un petit bassin (100 ? 50 cm) de plus de 40 cm de profondeur.

Un étroit passage (56 cm), aménagé dans le coin ouest, menait de la pièce No 1 au hall central (No 5 - 330 ? 370 cm) qui s'ouvrait sur toutes les autres pièces du hammam. Une large porte de 141 cm conduisait à la salle de massage No 2 (219 ? 213 cm, au sud-est); un étroit passage de 50 cm menait à la salle technique No 3 (280 ? 270 cm). L'entrée de la pièce No 6 mesurait 144 cm de largeur; cette dernière contenait un bassin de 206 ? 50 cm, d'une profondeur de 30-40 cm. Il était possible d'atteindre la salle No 4 (273 ? 175 cm), au nord-est, à travers un passage de 133 cm; le bassin mesurait 175 x 70 cm, avec une profondeur de 30-45 cm. Deux pièces servaient aux ablutions (No 7 et 8, au nord-ouest) avec des bassins de belle taille : une large porte séparait la pièce No 7 du hall, une étroite la pièce No 8 du hall. Les dimensions exactes de ces passages est difficile à déterminer avec précision en raison de tranchées sauvages qui ont détruit le mur délimitant les portes. Il est toutefois possible de deviner, avec une quasi certitude, leurs dimensions relatives. La pièce No 7 faisait 350 sur 220 cm, la No 8, 369 sur 275 cm. Toutes deux comportaient de grands bassins de 100-113 ? 210 ? 225 cm.
La première salle du complexe servait vraisemblablement de vestiaire et de salle d'eau pour les soins corporels préliminaires. Elle avait une température modérée et un profond bassin pour laver les pieds et les corps. Elle précédait le hall central qui servait de salle de massages et de prières. La pièce No 2, adjacente au hall central, avait les mêmes fonctions. Le réservoir de la salle technique No 3 (Ill. 3) fournissait aux utilisateurs du bain de l'eau chaude qu'ils pouvaient transporter dans d'autres pièces pour des usages divers. Les deux pièces No 4 et 6 avaient des bassins de taille moyenne (Ill. 4). Les salles No 7 et 8 servaient aux ablutions. Les pièces étaient réparties en salles chaudes, salles froides et tepidaria.

 

Kajlak reservoir chaudiere

Ill. 3. Kajlak. Réservoir-chaudière de la salle N°3

 

Kajlak bain

Ill. 4. Kajlak. Bain de la pièce N°4

 

Une analyse préliminaire des canalisations (Ill. 5, 6, 7) montre que l'eau qui alimentait le hammam provenait d'une source se trouvant dans la montagne. Un système de canaux amenait l'eau à la ville et, en particulier, au bain où un réseau de tuyaux construits à l'intérieur des murs fournissait l'eau nécessaire au fonctionnement du hammam. La pression naturelle de la source semble avoir été suffisante pour alimenter la ville. 

 

5 Kajlak canalisations

Ill. 5. Kajlak. Canalisations

 

6 Kajlak canalisations

Ill. 6. Kajlak. Canalisations

 

7 Kajlak canalisations

Ill. 7. Kajlak. Canalisations

 

Le système d'égout était plutôt primitif : des canaux d'évacuation des eaux usées se trouvaient dans le sol à côté des tuyaux de chauffage. Les canalisations doivent encore faire l'objet de recherches complémentaires.Sur la base de l'étude des céramiques et de la typologie des hammams étudiés en Eurasie et dans le Moyen-Orient, il est possible de rapprocher la maison de bain de Kajlak du type des hammams orientaux classiques des XIIIe-XIVe siècles.

Karl Baipakov et Dmitriy Voyakin
Institut d'Archéologie de la République du Kazakhstan
Département des études nomades et urbaines