ARCHEOLOGIE / ARCHAEOLOGY
MOUTON Jean-Michel

Depuis 2007, la Mission archéologique française en Libye avec le soutien de la Fondation Max van Berchem a ouvert un chantier archéologique sur le site de l’ancienne Syrte, connue aujourd’hui sous le nom de Madînat al-Sultân. Cette cité médiévale se trouve au centre de la Libye côtière, en bordure du golfe de Syrte, à 600 km à l’est de Tripoli. Le site, situé à 600 mètres de la mer Méditerranée, possédait une muraille de forme ovale qui entourait une ville d’un peu plus de 18 hectares. Syrte se présente aujourd’hui sous la forme d’un espace largement arasé car la ville construite pour l’essentiel en briques crues a littéralement fondu sur elle-même. Seuls émergent quelques monuments dégagés ou fouillés comme la grande mosquée, le tracé de l’enceinte ou encore des monticules de terre identifiés comme les forts sud-est et sud-ouest.

 

Plan topographique de Syrte

Fig. 1 : Plan topographique de Syrte


La ville de Syrte aurait été fondée au moment de la conquête arabe de la Libye en 644 par ‘Amr b. al-‘Âs dans le dessein d’abriter une garnison militaire à proximité d’une cité plus ancienne, la ville romaine d’Iscina dont les vestiges sont encore visibles à l’ouest du site. La ville connut, semble-t-il, sa plus grande prospérité aux IXe et Xe siècles à un moment où elle servait d’étape entre le Mashreq et le Maghreb et de débouché aux pistes caravanières venant du sud-Sahara. Les Fatimides, alors qu’ils tentaient de faire la conquête de l’Egypte depuis l’Ifriqîya, auraient transformé la ville en une véritable base militaire et l’auraient dotée des moyens pour approvisionner une armée en vivres et en eau. Syrte serait ainsi devenue une étape fondamentale dans la conquête de l’Egypte en 969. L’hypothèse la plus couramment avancée pour expliquer l’abandon du site renvoie à sa destruction par les Arabes hilaliens au milieu du XIe siècle. Ceux-ci auraient à la fois bénéficié du désintérêt des Fatimides pour ce poste militaire après leur conquête de l’Egypte et des tensions entre Zirides et Fatimides. La ville continua cependant à être mentionnée par les géographes et les voyageurs des XIIe et XIIIe siècles et encore par Léon l’Africain au début du XVIe siècle qui signale qu’elle est ruinée ; il faut sans doute parler d’un long et lent déclin de Syrte plutôt que d’un abandon brutal.

 

Vue de la grande mosquée

Fig. 2 : Vue de la grande mosquée


La ville de Syrte est un site majeur de l’archéologie musulmane en Libye ; elle fut en effet le premier site islamique fouillé dans ce pays à partir de 1963 par le Département des Antiquités. Ces premières fouilles ont porté en priorité sur la grande mosquée qui était le seul monument qui émergeait, puis sur le tracé de l’enceinte et sur les deux portes situées au nord et au nord-ouest de la ville. Les fouilles les plus importantes et les mieux documentées ont été cependant conduites entre 1977 et 1981 par la mission anglaise dirigée par Géza Fehérvàri. Le premier plan du site a alors été dressé tandis que les fouilles de la grande mosquée étaient reprises permettant d’établir un phasage chronologique précis de cet édifice majeur.

 

Enclos funéraire

Fig. 3 : Enclos funéraire (sud-ouest de la ville)


La mission qui a débuté en 2007 se propose de reprendre l’étude globale du site afin d’en déterminer avec précision la durée d’occupation et d’en préciser les fonctions exactes (militaires, commerciales, etc.). Aussi une prospection systématique de l’ensemble de la ville intra muros a été conduite permettant de recenser plus de 300 ensembles archéologiques (mosquée, forts, 37 citernes, etc.). En même temps, le relevé topographique de la ville intra muros a permis de dresser une nouvelle carte de Syrte où les limites de l’enceinte ont pu être précisées dans les secteurs où le tracé était encore incertain. Sur ce premier plan, il apparaît que les quartiers d'habitation et artisanaux sont plutôt concentrés dans la moitié nord de la ville, sous la forme d'une organisation urbaine où l'on devine des structurations (rues, venelles) tandis que la partie sud semble beaucoup moins densément occupée, voire presque vide de constructions à proximité du rempart. Une ligne de puits, dont certains sont associés à des bassins, semble séparer ces deux parties de la cité.

 

Fort sud ouest

Fig. 4 : Fort sud-ouest (vue générale) J.-O. Guilhot


Une prospection systématique conduite dans un rayon de 500 mètres à l’extérieur du rempart a également permis de livrer des données tout à fait neuves. Les abords de la ville sont d’abord occupés par plusieurs sites funéraires relativement dispersés qui se présentent sous la forme d’enclos funéraires de pierres sèches à l’intérieur desquels se trouvent des pierres dressées correspondant aux pierres de chevet et de têtes des différentes. La découverte la plus intéressante se situe cependant au nord-est de la ville où ont été repérées une cinquantaine de fosses circulaires de même taille. Ces fosses, qui sont entourées d'un bourrelet de terre (brique crue fondue ?), sont certainement issues d'une activité artisanale : il pourrait s'agir de bacs construits en briques de terre crue pour la teinturerie ou la tannerie.

 

Fort sud ouest plan

Fig. 5 : Fort sud-ouest (plan) J.-O. Guilhot


Un premier secteur de fouille a également été ouvert en 2008 sur un des deux forts de la ville intra muros, le « fort sud-ouest ». Il se présente sous la forme d’un enclos trapézoïdal de 66 m de long sur 43 m de large entouré par un fossé périphérique. Au centre de l’enclos, une butte d’environ 15 m de côté domine cet ensemble. La campagne a permis de découvrir que cette butte correspondait à une tour quadrangulaire ayant à la base des murs d’1,5 m d’épaisseur. L’élévation de cette tour était mixte, en pierre sur au moins 1,70 m, puis en briques de terre crue. Les analyses C 14 ont permis de montrer qu’elle avait été utilisée jusqu’au milieu du XIVe siècle. Des rapprochements ont pu être effectués avec les tours de défenses musulmanes de la huerta de Valence qui sont aussi des édifices de plan carré, avec un soubassement en pierre et des élévations en terre crue. La tour de Syrte a cependant des dimensions plus importantes et cette différence d’échelle traduit certainement qu’aux fonctions défensives et symboliques de ces tours, il faut ajouter à Syrte une fonction résidentielle et/ou de stockage.

 

Fort sud ouest restitution

Fig. 6 : Fort sud-ouest (restitution) J.-O. Guilhot

 

Les deux premières campagnes conduites sur le site de Syrte ont apporté nombre de données nouvelles qui viennent enrichir de façon significative nos connaissances. Concernant les fonctions urbaines, il ressort nettement que la fonction militaire semble avoir été primordiale à Syrte. La place qu’occupent les forts sud-est et sud-ouest dans la ville et le rôle qu’ils jouent dans la structuration urbaine semblent majeurs. La découverte de fosses circulaires au nord de la ville, dont la fouille commencera en 2009, montrent aussi que Syrte n’était sans doute pas simplement un port exportateur au débouché d’une route caravanière, mais un véritable centre de production. Il apparaît clairement que la ville ne fut pas abandonnée brutalement après l’invasion hilalienne du milieu du XIe siècle, mais continua à être occupée jusqu’au XIVe siècle. Aussi est-on conduit à se demander si un des facteurs majeurs de l’abandon du site n’est d’ordre climatique. L’abondance des citernes et les indications textuelles sur l’alimentation en eau de pluie de celles-ci contrastent avec la faible pluviométrie actuelle qui correspond à celle d’une région hyperaride.

Jean-Michel Mouton