ARCHITECTURE
DAVID Jean-Claude

Dans sa thèse sur Alep, parue en 1941, l'historien J. Sauvaget tire parti mieux que quiconque de l'analyse topographique et architecturale en vue de la connaissance historique de la ville, mais la topographie historique n'était sans doute pas sa préoccupation première. Quarante ans plus tard, la collaboration de l'historien H. Gaube et du géographe E. Wirth, toujours sur Alep, s'est concrétisée dans une analyse de l'espace, de ses formes et de ses modes de production, une approche de la logique de l'organisation spatiale en fonction de certains critères : l'eau, les voies de circulation, les activités économiques, les pouvoirs, etc.
Notre travail sur Alep, entrepris grâce à la collaboration d'une petite équipe pluridisciplinaire, avec l'aide de la Fondation Max van Berchem, se situe dans le prolongement de ces recherches: nous centrons notre intérêt sur la topographie, sur les mécanismes de transformation des espaces et de l'architecture, en liaison avec l'évolution des fonctions et des pratiques dans la longue durée.

 

Mosquee la Fustuq

J.-C. David. Alep : 1. Mosquée la-Fustuq. Anciennement madrasa as-Sahibiya. 2. Ancien café, anciennement madrasa Gurdikiya. 3. Mosquée-tékiyé Aslan Dada, anciennement khanqa al-Balat


Une nouvelle construction, un nouvel espace, répond plus ou moins bien aux besoins qui l'ont fait naître; il modifie l'héritage du passé et doit être modifié pour s'adapter. En fait, il y a presque toujours un décalage entre l'évolution des formes matérielles et les fonctions et activités qui les animent. L'adaptation est possible parce que la ville est la combinaison de divers systèmes, spatiaux, sociaux, familiaux, ethniques, économiques, qui se caractérisent par leur cohérence dans une période et dans un espace et par une certaine autonomie les uns par rapport aux autres.
Nous cherchons à définir et à analyser dans un espace limité, d'une part des ensembles témoignant d'organisations et de fonctionnements cohérents, ensembles monumentaux, tissu urbain, ou réseaux de relations spatiales et sociales, et d'autre part des processus de changement et d'évolution qui s'inscrivent dans ces espaces. Pour ceci, nous avons d'abord exécuté des relevés architecturaux précis d'une vingtaine de monuments importants des époques mamelouke et ottomane (à l'échelle 1/50ème) et du tissu qui les enserre (échelle 1/500ème), puis nous avons confronté ces deux niveaux spatiaux avec les données historiques sur les fonctions et activités, et avec les résultats d'enquêtes sur les activités actuelles ou récentes au cours des cinquante dernières années.
Notre aire de recherche est définie par l'axe de la Suwayqa, qui donne accès à une zone centrale au nord-est des souks et de la Grande Mosquée, par la porte de la Victoire. L'étude d'un axe de pénétration, défini par son accessibilité dans le contexte d'une ville close, nous permet d'aborder à la fois l'analyse des quartiers auxquels il donne accès, donc des espaces privés et communautaires et celle des espaces publics, catégorie fondamentale par définition pour un axe de circulation.

 

mosquée tekiye Aslan Dada

J.-C. David. Alep, mosquée-tékiyé Aslan Dada, anciennement khanqa al-Balat (XVIe ?-XVIIe siècle)


Le choix de cette zone est fondé sur la richesse historique et monumentale et sur l'importance des sources déjà étudiées par les historiens. La comparaison avec les autres axes d'entrée dans la ville est un des aspects de notre recherche. Cet axe a été souvent l'un des plus importants. Aux époques zankide et ayyoubide s'y trouvait vraisemblablement le palais du gouverneur. C'est dans la zone de contact avec les souks en cours de formation à l'est de la Grande Mosquée que s'est constituée à la même époque la plus forte concentration de madrasa-s, près des territoires de plusieurs grandes familles. A l'époque mamelouke, l'axe reste le support de lieux de pouvoir; les palais d'émirs importants s'y trouvent et notamment ceux de deux gouverneurs à la fin de la période. En même temps se confirme l'importance commerciale de cet axe avec la construction de khan-s et de qaysariya-s, dans un mouvement de sélection des activités qui se renforcera sous les ottomans. A l'époque ottomane, la Suwayqa, comme les quartiers qu'elle dessert directement, est le site favori de résidence et d'activité de notables, dont le pouvoir est fondé sur le négoce et sur la connaissance (tujjar et 'ulama). On constate l'importance des emprises familiales sur l'espace, sous forme de patrimoines plutôt que de véritables pouvoirs de quartier : au XVIIIème siècle notamment, certains de ces notables fondent des waqf-s importants qui incluent des équipements économiques sur la Suwayqa ou ailleurs, et des maisons d'habitation regroupées dans les quartiers proches ou plus éloignés.