Résumé

Le colloque international intitulé « Le patrimoine islamique à travers les archives scientifiques : nouvelles perspectives pour l’histoire de l’art et l’archéologie des pays d’Islam » s’est tenu au Musée du Louvre et à Sorbonne Université les 3 et 4 octobre 2019. Il avait pour ambition d’interroger l’apport des archives scientifiques (collections photographiques, notes, carnets de fouilles, correspondance etc.) à l’étude du patrimoine mobilier et immobilier des pays d’Islam. Établis depuis plus d’un siècle pour les plus anciens, ces fonds documentent en effet tant le patrimoine et les destructions à l’époque contemporaine – dont les cas syriens et irakiens ne sont que les exemples les plus récents et les plus médiatisés – qu’ils éclairent l’histoire de disciplines encore récentes que sont l’histoire de l’art et l’archéologie islamiques.

Dans un contexte d’accès restreint au terrain pour les chercheurs, ces archives constituent dès lors autant de corpus de sources primaires primordiaux pour l’étude du patrimoine islamique des périodes médiévale et moderne. Cette manifestation scientifique majeure a rassemblé une vingtaine de chercheurs – confirmés, postdoctorants ou doctorants – français et internationaux dont les recherches portent sur une multitude de fonds d’archives, souvent complémentaires. Les communications ont abordé l’importance de ces fonds pour l’étude d’un patrimoine disparu ou en danger tout autant que l’apport de ces archives à l’écriture de l’histoire de nos disciplines et des réseaux savants du début du XXe siècle.

Elle a été organisée par Maxime Durocher, et les communications ont été sélectionnées par un comité scientifique composé d’Etienne Blondeau (conservateur, Département des Arts de l’Islam) et de Yannick Lintz (conservatrice, directrice du Département des Arts de l’Islam) pour le musée du Louvre et d’Éloïse Brac de la Perrière (Maître de Conférences habilitée à diriger des recherches) et Maxime Durocher (alors post-doctorant, aujourd’hui attaché temporaire d’enseignement et de recherche – ATER – en archéologie islamique) pour Sorbonne Université, constituant ainsi un exemple de collaboration institutionnelle entre un établissement muséal et le milieu universitaire. Les actes de colloque sont d’ores et déjà en cours de préparation et seront publiés sous la forme d’un ouvrage collectif co-édité par Maxime Durocher, Etienne Blondeau et Sarah Piram (Curator, Victoria & Albert Museum), prévu pour 2022.

 

Déroulement du colloque

Le colloque international s’est tenu le 3 octobre 2019 en la salle des 80 du musée du Louvre et le 4 octobre 2019 dans les locaux de Sorbonne Université à l’Institut National d’Histoire de l’Art, salle Giorgio Vasari. Il a réuni 23 chercheurs (de 7 pays différents) pour 18 communications réparties en 8 sessions thématiques. Une première session était dédiée aux programmes de recherches en cours sur le patrimoine syrien et irakien au musée du Louvre et au Museum für Islamische Kunst de Berlin. Cette session a autant permis de poser les problématiques communes liées aux destructions récentes du patrimoine islamique que d’illustrer les relations étroites et capitales entre ces deux institutions européennes majeures dans le champ des arts et de l’archéologie du monde islamique. Les sessions thématiques, réunissant deux à trois communications et laissant une large place aux échanges, ont permis d’aborder les principaux enjeux de l’étude des archives scientifiques dans nos domaines : documentation/reconstitution d’un patrimoine disparu ou en péril, histoire de l’archéologie islamique, constitution des réseaux savants et historiographie, questionnements méthodologiques autour de l’utilisation et de la valorisation scientifique des fonds étudiés.

 

Résultats et perspectives

Le succès de ce colloque a été manifeste, comme en témoigne le nombre de personnes (chercheurs, professionnels des musées, étudiants …) ayant fait le déplacement pour assister à ces deux journées. Les sessions ont toutes donné lieu à d’intenses et fructueuses discussions, enrichissant chacune des contributions présentées. Le premier bilan à tirer de ce colloque est la mise en valeur de fonds d’archives, souvent méconnus jusqu’à leur signalement récent, parfois accompagné d’une mise en ligne, par les institutions en ayant la charge (certains des fonds présentés restent toutefois encore confidentiels). Corollaire de cette valorisation scientifique, le colloque a également mis en lumière le travail important effectué ces dix dernières années par les institutions (musées, archives, bibliothèques) qui les conservent. La variété des fonds étudiés et les différentes approches de ce colloque pluridisciplinaire ont confirmé l’importance d’intégrer cette documentation remontant parfois au XIXe siècle pour l’histoire de l’art et l’archéologie du monde islamique. Si les archives des fondateurs de la discipline (tels Ernst Herzfeld, Gertrude Bell, K.A.C. Creswell, Jean Sauvaget) étaient partiellement connues, certaines communications ont proposé un nouvel éclairage sur la constitution des réseaux savants dès le XIXe siècle (autour de personnage comme Arthur Ali Rhôné) et hors des frontières européennes (fonds d’Osman Hamdi Bey pour l’Empire ottoman). Par ailleurs, certaines communications ont illustré l’importance du recours à des archives photographiques contemporaines (comme la contribution de Sandra Aube et Thomas Lorain autour du Moṣallā de Hérat en Afghanistan) pour documenter un patrimoine altéré ou détruit jusqu’à récemment.

Le second apport principal de cette manifestation a été le renforcement des liens entre les chercheurs autour de ces archives scientifiques. Le colloque a notamment tiré profit de collaborations anciennes (autour du fonds Creswell ou du Comité de Conservation des Monuments Arabes du Caire par exemple) ou récente (étude des archives Herzfeld par M. Saba et V. Rose dans le cadre de leurs doctorats respectifs). À plusieurs reprises, les discussions ont permis aux participants d’échanger des données personnelles sur tel ou tel fonds (notamment en ce qui concerne les correspondances des fondateurs de la discipline, éparpillées dans de multiples institutions qu’une seule personne peut difficilement consulter) et de partager des approches méthodologiques diverses et complémentaires. Enfin, le colloque a permis de placer le Louvre et Sorbonne Université, deux institutions majeures dans le champ de l’histoire de l’art et de l’archéologie islamique, au cœur des débats et des échanges autour des archives scientifiques.

S’il constituera sans doute un jalon dans l’intégration des archives à l’étude du patrimoine islamique, la nécessité de poursuivre les recherches et de renforcer la coopération internationale autour de fonds d’archives complémentaires conservés aux quatre coins du globe est clairement apparue. Ainsi, il semble important d’envisager à l’avenir l’organisation de workshops spécialisés (par type d’archives, approches ou zones géographiques concernées) afin d’affiner l’étude de ce très riche patrimoine documentaire. Par ailleurs, la mise en place de projets de recherche de plus grande envergure visant à mutualiser, au sein de portail numérique commun développé en open source, ces fonds d’archives permettrait de les rendre plus accessibles aux chercheurs et de favoriser leur valorisation scientifique. Une première étape, envisageable à court terme et appelée de ses vœux par l’ensemble des participants, pourrait consister en l’élaboration d’un portail de signalement des collections d’archives intéressant directement le patrimoine du monde islamique médiéval et moderne.

 

Programme

Jeudi 3 octobre 2019

Programme de recherches autour des archives du patrimoine islamique syrien et irakien
Présidence de séance : Yannick Lintz, musée du Louvre, Paris

  • Un répertoire des sources à l’usage des chercheurs, le Projet PAPSI/Étienne Blondeau, musée du Louvre, Paris
  • A Case Study of the Syrian Heritage Initiatives in the Museum for Islamic Art in Berlin/Rasha Kanjarawi, Museum für Islamische Kunst – Staatliche Museen zu Berlin  

 

Les archives du Comité de Conservation des Monuments de l’Art Arabe du Caire
Présidence de séance : Sylvie Denoix, CNRS, UMR 8167 Orient & Méditerranée, Paris

  • Max Herz and the Comité de Conservation des Monuments de l’Art Arabe: A Case Study of Archival Sources in Egypt/István Ormos, Eötvös Loránd University, Budapest
  • Exploring the Comité de Conservation des Monuments de l’Art Arabe and its Archives: New Insights on Cairo’s Islamic Monuments/Dina Bakhoum, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et Leiden University 

 

Archives et notes de fouilles archéologiques
Présidence de séance : Nathalie Ginoux, Sorbonne Université, Paris

  • D’Henry Viollet à Ernst Herzfeld : l’apport des archives à l’étude de Samarra et à l’histoire de l’archéologie islamique/Vanessa Rose, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Paris
  • Victor Eustache de Lorey et l’archéologie islamique en Syrie mandataire: la fouille d’un quartier de potiers à Damas en 1922, d’après les archives de l’Institut d’art et d’archéologie musulmans/Élodie Vigouroux, UMR 8167 Orient & Méditerranée, Paris
  • Carnets et journaux d’une archéologue hors-normes : Marguerite van Berchem et Sedrata (1946-1955)/Cyrille Aillet, CIHAM-Université Lyon 2; Patrice Cressier, CIHAM – UMR 5648, Lyon; Sophie Gilotte, CIHAM-CNRS, Lyon

 

Correspondances et histoire des réseaux savants autour de l’archéologie et du patrimoine islamique
Présidence de séance : Étienne Blondeau, musée du Louvre, Paris

  • Une correspondance savante méconnue sur Le Caire historique : les travaux précurseurs d’Arthur Ali-Rhoné et de son cercle « antiquaire »/Mercedes Volait, CNRS-INHA – InVisu, Paris
  • Archaeological Correspondences: Gertrude Bell’s Letters and the Development of the Study of Early Islamic Art and Architecture/Lisa Cooper, University of British Columbia, Vancouver

 

Vendredi 4 octobre 2019

Études de cas : reconstituer un patrimoine disparu à partir d’archives graphiques
Présidence de séance : Éloïse Brac de la Perrière, Sorbonne Université, Paris

  • Enquête sur les complexes timourides du « Mosallã » à Hérat : l’apport des archives graphiques (ca. 1860-1980)/Sandra Aube, CNRS – Mondes Iranien et Indien, Paris; Thomas Lorain, UMR 8167 Orient & Méditerranée
  • Représenter l’Iran et ses monuments : quelques exemples d’archives au V&A et au Louvre/Sarah Piram, Victoria and Albert Museum, Londres

 

Les collections photographiques et la formation de l’histoire de l’art et de l’archéologie islamique
Présidence de séance : Finbarr Barry Flood, New York University, New York

  • K.A.C. Creswell’s International Collections: an Exceptional Archive on Islamic Architecture Heritage/Omniya Abdel Barr, Victoria and Albert Museum, Londres; Ola Seif, American University in Cairo, Le Caire
  • Patrimoine islamique et archéologie chrétienne : le témoignage des photographies de la Collection chrétienne et byzantine – Photothèque Gabriel Millet de l’EPHE/Ioanna Rapti, École Pratique des Hautes Études, Paris

 

Collecter, documenter et étudier le patrimoine mobilier : archives et collections d’objets
Présidence de séance : Mercedes Volait, CNRS-INHA – InVisu, Paris

  • Gaston Wiet’s Archives at the Louvre Museum and Their Significance for the Study of Inscribed Objects/Carine Juvin, musée du Louvre, Paris
  • La préservation de l’héritage islamique comme ligne d’action du Musée impérial sous la direction d’Osman Hamdi Bey (1881-1910)/Edhem Eldem, Boǧazıçı Üniversitesi, Istanbul – Collège de France, Paris 15

 

Archives et historiographie : nouveaux éclairages sur des figures pionnières de l’histoire de l’art et de l’archéologie islamiques
Présidence de séance : Edhem Eldem, Boǧazıçı Üniversitesi, Istanbul – Collège de France, Paris

  • Archaeology of Education: Ernst Herzfeld’s Architecture School Notebooks in the Metropolitan Museum Archive and the Intellectual Roots of Islamic Art History/Matt Saba, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge USA
  • Lost, Destroyed, Forgotten : Recovering Islamic Art in Italy through Monneret de Villard’s Archives/Silvia Armando, John Cabot University, Rome
  • L’archéologie islamique en Syrie à l’époque du Mandat à travers les lettres de Jean Sauvaget à son père (1924-1937)/Bassam Dayoub, musée du Louvre, Paris

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